dinsdag 30 december 2008

King of the hill

Un long dimanche de fiançailles - comparaison Jeunet/Japrisot


Structure générale de l’histoire


L’histoire commence par la condamnation à mort de cinq soldats qui se sont infligés des mutilations volontaires. Condamnés à mort par les généraux de l’époque, ils sont jetés dans un « No man’s land », c'est-à-dire: un champ de bataille d’où peu de soldats reviennent vivants. Parmi eux, on retrouve Manech, tout juste vingt ans. En 1919 Mathilde, sa fiancée, a 19 ans. Mathilde refuse de croire à la mort de Manech, et c’est guidée par son obsession amoureuse qu’elle va mener un véritable combat pour retrouver son amant. Ce fond d’ l’intrigue est conservé dans le film.


L’œuvre de Japrisot est repartie en 14 chapitres servant de fil conducteur pour le film qui a, comme dans le livre, souvent recours à des flash-back tout en conservant le sens chronologique de l’histoire.
Les lettres qui sont omniprésentes dans le livre ont également été conservées dans la version cinéma, et elles gardent également leur effet dramatique. Par contre, dans les deux versions le narrateur assume un rôle différent : le livre dispose d’un narrateur omniscient qui prend le point de vue de Mathilde ou d’un des condamnés/soldats, tandis que dans le film le narrateur est représenté par une voix, c'est-à-dire une voix traduisant l’état d’esprit de Mathilde et offrant ses commentaires (peut-être s’agit-il du destin-même qui interpelle son public ?). Japrisot dispose bien sûr d’une palette de tournures stylistiques plus élaborée. Il change le ton de son récit selon le flash-black et y adapte donc les structures de phrase. L’exemple le plus clair est lors du passage à l’histoire de Manech (chapitre 1) où le narrateur change brusquement de ton, et devient beaucoup plus subjectif. Ses tournures de phrases deviennent presque agressives. Un deuxième exemple est la scène initiale où est décrit un des condamnés, à savoir Bastoche : on constate une écriture fragmentaire et une juxtaposition de paragraphes brefs lorsque l’histoire de ce « poilu » est décrite. La raison de ce style bien particulier réside dans le fait que Japrisot voulait employer cette interruption du « fil narratif » afin de relever la métaphore du « fil téléphonique » qui est si fragile dans l’histoire au front et auquel Japrisot faisait souvent référence. Ce fil téléphonique (« la seule chose qui nous met en contact avec le monde des vivants » - Sergent Esperanza), est également présent dans la version filmée, mais on y accorde moins d’importance que Japrisot. Bref, assez de marques montrant que Japrisot fait valser ses lecteurs avec les indices qu’il leur laisse entrevoir.

De tout cela, on peut conclure que le film possède une structure de drame moins complexe que celle du livre. Les flash-back sont évidemment encore utilisés ainsi que les lettres, mais ceux-ci sont moins prononcés que dans le livre, où l’on trouve beaucoup plus de variété.

Les personnages

La plupart des personnages sont conservés et respectés, néanmoins on peut constater quelques différences lorsqu’on plonge dans le monde cinématographique de Jeunet. Le renforcement de quelques personnages a lieu à maintes reprises : le personnage de Tina Lombardi apparaît dans le film, alors qu’il est seulement évoqué dans le livre. Sylvain & Bénédicte (le couple qui prend soin de Mathilde) et l’oncle-avocat de Mathilde bénéficient également d’un rôle plus important. De plus on peut à plusieurs reprises constater de petites discordances entre les traits physiques accordés au personnages par Japrisot et par Jeunet : dans le roman, Célestin Poux est blond et frisé, et a les yeux bleus , alors que dans le film il est brun.

Les deux protagonistes de l’histoire filméé diffèrent également du livre ; en ce qui concerne Mathilde, S. Japrisot décrit dans son œuvre un accident de jeunesse qui a mené au fait qu’elle est dans une chaise roulante. Jeunet a décidé pour des raisons pratiques, d’accorder une plus grande liberté à Mathilde (afin de pouvoir introduire des scènes qui se déroulent à Paris) : elle n’est donc pas dans sa chaise roulante, mais elle garde tout de même un handicap : elle est boîteuse. Quant à sa personnalité, le livre cite beaucoup d’exemples où Mathilde peut être grossière, un trait de caractère qui est moins exploré dans le film. Le film mentionne aussi que Mathilde doit faire attention à ne pas dilapider son héritage, tandis que la Mathilde de Japrisot est riche par son père. Le personnage de Manech est mieux conservé, néanmoins quelques détails : le livre décrit clairement comment ce jeune soldat s’est fait sauter la main (entière) dans son acte d’auto-mutilation, mais le film montre que sa main n’est que percée. Il faut aussi remarquer que Jeunet ne mentionne aucunement le vrai nom de Manech (Jean Etcheverry).

Thèmes et décors différents

Dans l’œuvre les soldats sont jetés dans le « No man’s land » en plein hiver, ce qui permet à l’auteur d’exploiter le sujet des dures conditions hivernales pendant la guerre, un sujet que Jeunet n’a apparemment pas voulu exploiter, son but étant sans doute de reconstituer l’horreur des tranchées dans sa généralité. Le film est par conséquent beaucoup plus sanglant que l’œuvre, et Jeunet met l’accent sur l’effet choquant et ceci au détriment des émotions qui affleurent plutôt chez Japrisot. Les décors sont également différents : l’action du film ne se déroule pas dans les Landes mais en Bretagne, et les tranchées dans les flash-back ne sont pas couvertes de neige comme elles le sont dans le livre (Japrisot insiste sur cet effet de climat). L’importance des tranchées est d’ailleurs maintenue dans le film ; Jeunet comme Japrisot représentent les soldats comme des individus avec leur histoire et leur propre personnalité. Jeunet va un peu plus loin que Japrisot et nous montre les petites sociétés à l’intérieur des tranchées. Jeunet s’attache à représenter la saleté dans laquelle les soldats évoluaient quotidiennement, leur cohabitation avec les rats et le manque de rationnement.


On voit donc très clairement que Jeunet insiste sur les circonstances de la guerre. La preuve irréfutable est le fait qu’il n’a pas peur de montrer la mort au spectateur (les scènes font souvent songer au film « Saving private Ryan » de Spielberg).
Il est sûr que durant tout le film Jeunet se laisse aller à son amour pour la nature, d’une part par les couleurs automnales qu’il utilise. Mais surtout par les prises de vus, les travellings, les plans aériens, les panoramiques, les plongées, les contre plongées, Jeunet exploitera les plus belles prises de vue pour balayer le décor Breton.


Jeunet fait appel à la licence poétique et ajoute ainsi des lieux parisiens dans son film tels que la Gare d’Orsay, l’Opéra et les Halles. En filmant ces lieux la caméra prend une vue panoramique, ce qui nous permet d’apercevoir ces lieux en pleine splendeur. Jeunet met donc en vedette l’importance des lieux, qui fondent avec l’histoire et les couleurs ce qui rend cette beauté presque « triste », vu les circonstances dans lesquelles Mathilde demeure. Le réalisme est d’ailleurs omniprésent dans le film. Non seulement la situation au front est bien restituée, mais la reconstitution du Paris des années 20 est remarquable. Jeunet arrive à saisir une époque et une ambiance et à nous le présenter sous une forme vraisemblable grâce à l’importance attachée à certains détails : les cabines téléphoniques, un restaurant où résonne une musique de l’époque ou la pure simplicité d’un bar. Jeunet nous plonge alors dans l’ambiance de l’après-guerre tout au long du film.

Un autre lieu auquel Jeunet attache une certaine importance est l’hôpital. Au début du film Mathilde rencontre Daniel Esperanza, un sergent mourant qui pourrait lui donner des informations sur Manech. Cette scène se déroule dans un hôpital dans lequel on retrouver une ambiance plus calme et plus douce que dans le livre. Ici, Jeunet opte pour un climat d’impersonnalité tandis que Japrisot a une approche nettement plus subjective (il décrit de différents personnages dans l’hôpital-même et il règne une véritable atmosphère de « mort »). Le personnage même est également représenté différemment : Esperanza est mourant dans les deux versions, mais dans le livre Japrisot décrit une personne qui souffre (sur le plan physique comme sur le plan mental) bien que le personnage du film est quelqu’un de très gai qui n’arrête pas de plaisanter avec Mathilde. Ceci nous mène immédiatement au thème suivant : l’amertume.


Il est assez clair qu’au cours du film Jeunet traite à la dérision certaines choses qui sont incorporées dans le livre comme étant « sérieuses ».: Le sergent mourant qui se comporte assez joyeusement est le premier exemple qu’on rencontre. Néanmoins une pléthore d’autres exemples implore notre attention, en voici quelques-uns : Mathilde fait mine d’être dans une chaise roulante afin d’attendrir Pierre-Marie pour son aide, tandis que dans le livre Mathilde est toujours dans sa chaise roulante. La question s’impose alors si Jeunet voulait rendre cet élément ostentatoire et peut-être relever le fait éventuel que la Mathilde de Japrisot suscitait indirectement la pitié de nombreuses gens.
Certaines situations ont été filmées d’une façon ludique. En introduisant la technique « caméra des années 20 », (c’est-à-dire une image tremblante et un mouvement des personnages décalé) pour certains flash-back ou scènes qui découlent de l’imagination d’un personnage, Jeunet introduit un composant cynique dans son film : les scènes semblent marrantes bien que les circonstances ne le soient pas . Chez Japrisot on constate également un ton amer, mais manifesté différemment car il ne transgresse jamais la frontière du ridicule.

Au cours du film on rencontre souvent de petites références qui diffèrent légèrement du livre: au moment où Mathilde reçoit une lettre d’un quincaillier un anachronisme affleure: la date change en 1900 tandis que l’action se déroule une bonne vingtaine d’années plus tard. L’inscription MMM (petit jeu de mots qui signifie : Manech aime Mathilde) qui témoigne de l’amour « éternelle » entre les deux protagonistes est gravée sur un rocher (film) au lieu du tronc d’un peuplier (livre). La maison de Mathilde est considérée comme petite et conviviale selon Jeunet, mais Japrisot indique clairement qu’il s’agit d’une très belle villa construite par son père. Jeunet apporte donc sa touche personnelle à chaque scène sans trop s’appuyer sur les détails du livre.

Quant au thème qui relie plus que tout les deux versions : L’amour en est la véritable constante. Cet amour est la seule force qui s’opposera à la guerre dans le film. L’amour se retrouve dans presque tous les personnages mais le seul qui est vraiment relevé, c’est celui de Mathilde et de Manech, Ce qui rend cet amour plutôt intéressant c’est le fait qu’il naît dans l’enfance et qu’il évolue de manière tout aussi enfantine. Ceci est beaucoup plus exploré dans la version écrite. L’exemple le plus frappant est que la renaissance de leur amour commence de la même façon qu’elle naquit ; lorsque Mathilde retrouve Manech (qui est frappé par l’amnésie) il lui pose la même question qu’il posait quand il rencontra Mathilde pour la première fois avant d’être mené au front : « tu ne sais pas marcher ? » (livre) ou « ça ne fait pas mal quand tu marches ? » (film) . Exemple magnifique, car autant de choses et autant de vies ont été détruites au fil de l’histoire, mais le sort laisse quand même une petite lueur d’espoir en donnant l’opportunité à deux amants de recommencer…

Il est clair que le film n’est pas une simple « traduction » du livre en termes visuels, mais que le film a comme support le livre. Jeunet n’a pas hésité à faire les modifications nécessaire pour rendre son film unique et donner au sujet sa propre touche. Néanmoins le message d’amour est moins clair qu’il ne l’est dans le livre. Le mélange d’humour, de violence et réalisme présent dans le film détruit souvent le message sous-entendu d’espoir et d’amour. Ce n’est qu’à la fin quand Mathilde retrouve son amant et à travers quelques scènes où on voit l’amour naître entre eux que le public est rappelé à ce message. Par contre le livre de Japrisot met l’amour et l’espoir en vedette dans chaque chapitre.
Bref, les deux œuvres ont leurs propres priorités et donc leur propre style et propres atouts. Même si le film est peut-être plus enclin à être catégorisé vers un film historique et n’atteint pas le même niveau de l’histoire d’amour de Japrisot, Jean Pierre Jeunet nous régale tout de même avec une Audrey Tautou puissante qui sait autant dialoguer avec son regard qu’avec ses paroles, et même d’une Jodie Foster qui parle un français impeccable…

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